Le centenaire du texte de Pierre Teilhard de Chardin « La Messe sur le Monde »

Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)

Puisque, une fois encore, Seigneur, (…), je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde.

Pierre Teilhard de Chardin

«La Messe sur le Monde», dans Hymne de l’Univers, Seuil, 1961, pp.17-37

Ce texte a été rédigé en 1923 par Pierre Teilhard de Chardin, jésuite, paléontologue (1881-1955), alors qu’il se trouvaint en Chine dans le désert des Ordos pour son travail scientifique et qu’il n’avait ni pain, ni vin, ni autel ni calice pour célébrer la messe.

New-York, 16-22 octobre 2023

Sur les pas de Teilhard

Le père Thierry Magnin était aux côtés  de l’Association des Amis de Pierre Teilhard de Chardin et de l’American Teilhard Association pour célébrer les 100 ans de la Messe sur le monde de Pierre Teilhard de Chardin. 

Voici l’introduction du Père Magnin qui en précéda la lecture :

Introduction de Thierry Magnin

          Nous honorons les cent ans de « la Messe sur le Monde », cette magnifique prière de Teilhard de Chardin, dans laquelle il célèbre l’unification de toute la création et de toute l’humanité en Dieu, par le Christ É qui anime toute la création.

            Dans une vision holistique de l’évolution, suite à la formation de la géosphère (matière inanimée) et de la biosphère (organismes vivants), Teilhard a proposé l’idée d’une noosphère, une « sphère de la conscience » qui émerge à partir de l’interaction et de l’interconnexion des esprits humains, en une sorte de convergence des consciences humaines à l’échelle de la planète.

            Selon Teilhard de Chardin, la noosphère est une étape essentielle de l’évolution, où l’humanité s’unit dans une conscience collective et interconnectée. Pour lui, l’évolution de la noosphère est intimement liée à l’évolution de la spiritualité humaine. Dans cette vision, la Messe sur le Monde est une expression liturgique de cette conscience collective et de cette interconnexion entre les humains et avec tous les éléments de l’univers.

            Ainsi, ce texte exprime l’idée que la noosphère, en tant que conscience collective, est appelée à s’élever spirituellement et que la noogénèse (cad le processus par lequel la noosphère émerge et se développe) doit s’ouvrir sur la christogénèse. C’est une célébration de la spiritualité émergente de l’humanité et de sa relation avec le Christ au sein de l’univers.

Je crois que l’Univers est une Évolution, je crois que l’Évolution va vers l’Esprit, je crois que l’Esprit (dans l’homme) s’achève en du Personnel, je crois que le Personnel suprême est le Christ universel (Comment je crois, Tome X, poche Collection Sagesse, p 117).

            Teilhard de Chardin considère l’amour comme une force puissante qui imprègne l’univers et joue un rôle transformateur dans le processus d’évolution cosmique. Dans la noosphère de Teilhard, l’amour « charité/agapé » manifesté par le Christ s’étend non seulement aux êtres humains, mais aussi à toute la création. Il est une force unificatrice, capable de transcender les différences, de guérir les divisions et de promouvoir la vie et l’interdépendance de tous les êtres.

            Il conduit à reconnaître la dignité et la valeur inhérentes de chaque individu, de pratiquer le pardon et la réconciliation, et de travailler activement pour la justice, la paix et le bien commun. Il est central pour permettre aux humains de collaborer dans le sens de la montée de la complexité-conscience, ainsi que pour le « retournement des forces de haine en forces d’amour ». Teilhard parle de relations « de centre à centre » entre les êtres humains, lorsque les individus accueillent cette énergie d’amour, cette Présence réelle dirons-nous dans l’Eucharistie et en sont éclairés au point de collaborer à partir de leur conscience profonde. De « centre à centre » peut se traduire par « de conscience profonde à conscience profonde », de « cœur à cœur » si on emploie le mot cœur dans son sens biblique, sans oublier le rôle de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie, Parole faite chair et donnée à manger.

            C’est cette Présence d’amour qui est au cœur de l’Eucharistie, de la Messe sur le Monde, de la transformation de toute la création par le Christ Évoluteur (dit Teilhard) par qui l’amour divin imprègne tout le processus évolutif, de Alpha à Omega, avec rétroaction de Omega vers Alpha. Oméga symbolise ici la plénitude de la réalisation spirituelle de l’univers, l’accomplissement de l’amour divin et de la conscience suprême. Le Christ Évoluteur de Teilhard travaille pour conduire l’humanité vers une conscience collective plus élevée et une communion plus profonde avec Dieu, à travers l’amorisation.

            Teilhard voyait le Christ non seulement comme une figure historique (Jésus de Nazareth), mais aussi dans sa dimension cosmique (comme dans les épîtres cosmiques de St Paul et textes de St Jean) qui est présente et opérante dans toute la création (Le Verbe, la Parole qui s’est inoculée dans la matière et toute l’évolution). Pour Teilhard, la christogénèse représente l’accomplissement spirituel ultime de l’humanité, où la noosphère atteint une pleine conscience de son unité avec le Christ cosmique. Et la noosphère, en atteignant une pleine conscience de son unité avec le Christ, réalise son plein potentiel spirituel et contribue à la transformation et à la sanctification de l’univers tout entier.

                Ainsi, l’eucharistie signifie l’espérance de cette Promesse, comme le dit le pape François dans Laudato Si’ en s’inspirant de la vision de Teilhard : l’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle (LS, 83).

            C’est ce que célèbre la Messe sur le Monde : A votre Corps dans toute son extension, c’est-à-dire au Monde devenu, par votre puissance et par ma foi, le creuset magnifique et vivant où tout disparaît pour renaître, par toutes les ressources qu’a fait jaillir en moi votre attraction créatrice, par ma trop faible science, par mes liens religieux, par mon sacerdoce, et (ce à quoi je tiens le plus) par le fond de ma conviction humaine, je me voue pour en vivre et pour en mourir, Jésus (La Messe sur le Monde. Texte présenté par Bernard Sesé. Desclée de Brouwer, coll. Les Carnets DDB, 1997).